Vie chère : le Cameroun comme la cigale de La Fontaine

Le peuple camerounais a faim et crie à la vie chère, le gouvernement explique le phénomène par la dépendance du pays à la production extérieure et aux importations. Pourtant il y a des possibilités de produire localement, nourrir convenablement les populations et faire des réserves. Mais les préoccupations sont ailleurs.  

Les prix des denrées alimentaires ne cessent de grimper sur le marché camerounais. Rien n’est épargné, même les produits insoupçonnés, comme les fruits cueillis sur des arbres qui poussent naturellement dans les champs, et n’ont généralement pas besoin d’intrants pour se développer. Cela s’explique par le fait que la grand-mère qui vendait 10 fruits de safou à 1000 francs, ce qui lui permettait d’acheter un litre d’huile de palme au même montant, doit désormais ajouter entre 200 francs et 400 pour avoir le même litre d’huile. Cette denrée à son tour, produite artisanalement dans le champ à Kapa, pour prendre un exemple n’avait pas non plus besoin d’intrants pour pousser, mais son prix a également grimpé pour suivre la courbe, et par effet d’entraînement tous les produits se trouvent concernés. Rétrospectivement, les hausses intenables ont commencé en 2020. Le prétexte trouvé alors était le corona virus, ce micro-organisme invisible qui a complètement restreint la liberté d’aller et de venir, et obligé les hommes à s’enfermer dans des maisons en confinement, ou à sortir la bouche et le nez attachés. Des frontières de par le monde ont été fermées, les bateaux et les avions cloués au sol ou amarrés dans les ports. Suivant la logique de l’offre et de la demande, les produits disponibles ont progressivement tari alors que la demande se faisait plus forte, et les prix ont grimpé, mais n’ont plus baissé depuis que les frontières ont été ouvertes, que les avions ont recommencé à voler et les bateaux à naviguer. Pendant qu’on y était, la Russie a engagé une opération militaire en Ukraine, les prix des denrées ont une fois de plus bondi, donc une double hausse en un an, l’explication officielle étant que les importations de certaines denrées de ces deux pays vers le continent sont interrompues. Selon l’Institut nationale de la statistique, le niveau général des prix à la consommation finale des ménages en juillet 2022 avait de nouveau augmenté de 6% en glissement mensuel, réalité expliquée par le niveau élevé des prix des produits alimentaires de +35,6% sur les huiles et graisses, +24,3% sur les céréales, +17,8% sur les poissons et fruits de mer. Sur un an, les produits ont ainsi connu une augmentation de 13,9%. Depuis le début du mois d’octobre 2022, s’est ajoutée à ces hausses de prix la pénurie du gaz domestique. L’explication la plus simple obtenue cette fois des distributeurs finaux, c’est qu’on leur a dit que le bateau n’a pas encore accosté. Toutes les autres explications ne modifient pas ce constat. Et comme de coutume en cas de pénurie, la spéculation n’a pas tardé. Quelques distributeurs qui avaient encore du stock ont profité pour fermer la porte de la boutique et ouvrir la fenêtre derrière, pour vendre au noir et au double du prix.

Que faisait le Cameroun depuis le temps que ces pays producteurs qui ont fermé leurs portes avec la crise, abattaient un travail de fourmi, accumulaient des réserves pour les jours difficiles ? Pourquoi les milliers d’hectares de terre arables qui s’étendent à perte de vue sur le territoire camerounais ne sont pas en exploitation, pourquoi le Cameroun producteur de pétrole, doit attendre le gaz domestique dans le bateau, avec une société de raffinage inaugurée le 24 mars 1973, il y a bientôt un demi-siècle

Le malheur de l’importation

Dion Ngute

Les gouvernants camerounais expliquent eux-mêmes depuis le début de ces hausses l’origine du malheur des Camerounais, tout en se consolant de ce que le pays n’est pas isolé dans ce cas. Ils disent que la hausse généralisée des prix est la conséquence des mesures de restriction des exportations prises par certains pays producteurs pour pallier le ralentissement de la production pendant le Covid-19, et à ces mesures est venue s’ajouter la guerre entre la Russie et l’Ukraine, dont la conséquence est la flambée des prix des matières premières et des intrants agricoles comme l’engrais sur le marché international, l’explosion des coûts du fret maritime et la hausse des cours mondiaux du brut. En termes simples, ce qui arrive aux Camerounais est la conséquence de la dépendance de l’extérieur pour se nourrir. Ce qui n’est pas dit, c’est que c’est pays producteurs qui ont restreint la sortie de leurs produits, n’ont rien à envier au Cameroun en termes de potentialités, d’atouts naturels et climatiques. Le Cameroun est même de loin, favorisé par rapport à beaucoup de ces pays, la différence se trouve dans la vision. Ce qui arrive aujourd’hui au Cameroun, et à d’autres pays qui sont gérés comme le Cameroun, c’est ce que décrivait le poète français Jean de La Fontaine il y a plus de 300 ans, dans la Cigale et la fourmi. « La Cigale, ayant chanté tout l’été, Se trouva fort dépourvue, Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’août, foi d’animal, Intérêt et principal. La Fourmi n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. Vous chantiez ? J’en suis fort aise : Et bien ! Dansez maintenant. »

Que faisait le Cameroun depuis le temps que ces pays producteurs qui ont fermé leurs portes avec la crise, abattaient un travail de fourmi, accumulaient des réserves pour les jours difficiles ? Pourquoi les milliers d’hectares de terre arables qui s’étendent à perte de vue sur le territoire camerounais ne sont pas en exploitation, pourquoi le Cameroun producteur de pétrole, doit attendre le gaz domestique dans le bateau, avec une société de raffinage inaugurée le 24 mars 1973, il y a bientôt un demi-siècle ? Et sur un autre plan, pendant 40 ans de règne, n’y a-t-il pas eu comme dans la bible (Genèse 41) un Joseph pour interpréter le rêve du Pharaon, et lui dire de nommer à travers le pays des commissaires qui « collecteront tous les vivres que produiront ces bonnes années qui viennent, (ils) emmagasineront le blé dans les villes sous l’autorité du pharaon, et le garderont comme réserve de vivres. Ces provisions serviront de réserve pour le pays, en prévision des sept années de famine qui s’abattront sur l’Egypte. Ainsi les habitants du pays ne mourront pas de faim. » Si, il y a pourtant bien eu ce Joseph, Dion Ngute de son nom. Choisi et mis à la tête du gouvernement. Mais pourquoi n’at-il pas pu épargner le peuple de la faim, comme en Egypte de Pharaon, pourquoi a-t-il failli à sa mission ?

Roland TSAPI

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *