Figure : Alphonse Beni et le cinéma camerounais

Il a marqué de son empreinte particulière le cinéma camerounais, auquel il voulait donner une touche particulière et surtout l’adapter à la tendance internationale. Après s’être essayé à tout genre comme acteur, il s’est consacré dans ses derniers jours à la réalisation, avec au centre des préoccupations, la valorisation de la culture africaine

Son nom n’était pas inconnu du monde du cinéma camerounais, et il a poussé sa passion aussi loin que d’essayer d’africaniser le kung Fu japonais. Acteur de films érotiques aussi, des comédies musicales ou des films policiers, il aura finalement touché à tout sans en dépendre, mais il n’a pas non plus résisté à l’attraction vers ses terres natales où la promotion de la culture locale a finalement prévalu dans ses dernières œuvres. Le site internet nanarland présente Alphonse Beni comme acteur et réalisateur né en 1946 à Nkongsamba. Pionnier du cinéma camerounais, il commence sa carrière par des courts-métrages comme Fureur au poing et Un Enfant noir  avant de partir en France. En Hexagone, il passe au long format en 1974 avec Les mecs, les flics et les putains. Pour être un pionnier, il n’en demeure pas moins une exception dans le paysage cinématographique camerounais, et ce à plusieurs titres. D’abord, il est l’un des rares cinéastes qui puisse se targuer d’une véritable indépendance financière vis-à-vis de l’organisme étatique. Ses films sont majoritairement produits en faisant appel à des capitaux privés étrangers (via des co-productions avec la France, l’Italie ou le Gabon et des accords publicitaires avec par exemple la firme Toyota). Ensuite, il choisit, contrairement à la majorité de ses collègues dont les films décrivent la réalité camerounaise sur un mode documentaire, d’épouser une forme de narration proche du modèle des séries B occidentales ou asiatiques, s’adaptant au goût du jeune public camerounais, friand de films d’action, de musique pop et de karaté. Les Mecs les flics, les putains, Danse mon amour ou Saint voyou sont ainsi des transpositions à la sauce locale de standards occidentaux, le héros de ces films étant généralement Alphonse Beni lui-même.

Alphone Beni

Carrière

A 70 ans, écrit camer.be, Alphonse Béni tournait encore à ses heures perdues sous la caméra de son ami Isidore Modjo dans des films comme « Emeraudes. » Le cinéma d’Alphonse Béni, loin des railleries parfois justifiées dont il fait l’objet, était  pourtant unique dans le paysage camerounais, une adaptation locale des intrigues des films d’action qui ont fait leur temps dans les vidéos clubs d’antan. De plus, il était quasiment le seul cinéaste local à recourir à de la publicité camouflée dans ses longs métrages, une pratique répandue dans les grandes productions internationales. Il a également toujours su s’entourer de partenaires hétéroclites pour ses projets. Gérard Essomba, l’acteur de renom ou l’homme d’affaires Joseph Feutheu…Si l’on a tendance, à citer Manu Dibango ou Roger Milla parmi les Camerounais les plus connus dans le monde, Alphonse Béni peut aussi revendiquer ce titre, lui qui a dominé les locations de cassettes vidéo dans des marchés lucratifs comme ceux des Philippines et de la Thaïlande. A son actif on compte au moins 30 œuvres cinématographiques, parmi lesquelles l’Etat sauvage en 1978 qui évoque les affres de la colonisation en Afrique, African fever en 1985, la Déchirure en 2005 et La déchirure 2 en 2007. Depuis le 29 octobre 2015, il siégeait à la commission consultative des arts et des lettres.

Culture et tradition

A partir de l’année 2011, Alphone Beni semble retourner aux sources, abandonner les mondanités et les réalisations dans lesquelles il était plus question d’argent et de célébrité, quoi que cela en coûte, pour se mettre au service des valeurs africaines, en perpétuel conflits avec la civilisation. Comme réalisateur, il signe Les veuves volontaires en 2011, Les femmes araignées en 2016, Les femmes araignées 2 en 2017. Cette même année, il signe également sa dernière réalisation cinématographique avec la mise en scène de l’œuvre théâtrale du professeur Jacques Fame Ndongo intitulé « ils ont mangé mon fils. » Avec ce film, il rendait encore plus vivante une problématique essentielle soulevée par l’auteur, à savoir que les interrogations sur la sorcellerie sont éternelles dans les sociétés africaines. C’est le reflet de nombreuses réalités anthropologique et sociologique auxquelles est confrontée la société africaine en général, et camerounaise en particulier, et qui pèse lourdement dans son héritage culturel. La sorcellerie, science ou superstition est un frein à l’appropriation de la science et de la technologie en Afrique. Aussi les conflits ésotériques sont-ils très présents dans les mentalités des individus dans le continent africain. Dans l’œuvre théâtrale de Jacques Fame Ndongo «  Ils ont mangé mon fils » que Alphone Beni a décidé de porter à l’écran, la confrérie des sorciers est une secte solidaire dont l’objectif principal est de nuire. Cette confrérie dont fait partie le père de Jean signe un pacte s’organisant autour d’une cotisation humaine, ce que Joseph Abanda appelle « le cannibalisme sorcier ». Il est question de sacrifier régulièrement l’un des enfants du membre de l’association par rotation. Dans ce faisceau de croyances reçues de l’omniprésence d’une tradition rigide, l’intelligence se trouve prisonnière de l’obscurantisme ; le sens de la créativité est complètement annihilé et les efforts sociaux et collectifs sont pris au piège de l’envoûtement possible. De quoi s’interroger sur la puissance de la sorcellerie africaine. Ces sorciers, sont-ils des génies ? Que serait l’Afrique si ces connaissances ésotériques étaient exploitées positivement pour le développement scientifique et technologique de l’Afrique ? La trame de l’histoire est donc de démystifier, sensibiliser et éveiller la conscience publique. La réalisation de ce film a été la dernière signature de Alphone Beni, qui s’est éteint le 12 mars 2023 à l’âge de 77 ans, des suites de maladie. Tout au long de sa carrière cinématographique, les critiques n’ont pas toujours été tendres avec lui, mais elles ont contribué à ce qui peut être considéré comme sa reconversion, pour se consacrer dans ses derniers jours à des activités fortement ancrées dans la culture africaine. Sa dernière réalisation peut dès lors être considérée comme « le cahier d’un retour au pays natal », pays où il devrait attendre des hommages dignes de sa notoriété dans le monde cinématographique.

Roland TSAPI

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