Devoir de mémoire : septembre, la nécessaire commémoration des martyrs

Ils sont nombreux aux oubliettes, qui ont laissé leurs vies pour que le Cameroun appartienne aux Camerounais et que ses richesses profitent à tous. Sacrifiés, mais pour qui les régimes successifs n’ont pas toujours un minimum de respects
Le mois de septembre qui s’achève est un mois particulier pour
le Cameroun, non pas seulement à cause de l’actualité politique du moment, mais
surtout parce qu’il s’est inscrit dans l’histoire du Cameroun comme une période
symbole de la lutte pour la libération du Cameroun, avec l’assassinant le 13
septembre 1958 du nationaliste Ruben Um Nyobé. En Septembre 2011, Célestin
Bedzigui et un groupe de Patriotes, avaient
pris l’initiative de consacrer cette
journée du ‘’13 Septembre, Journée des Héros Nationaux et des Martyrs’’ du
Cameroun. A cette occasion fut mis sur pied le ‘’Comité du 13 Septembre’’ avec
comme Secrétaire Permanent le Pr
Franklin Nyamsi. En septembre 2012, à partir de New York aux Etats Unis,
Célestin Bedzigui publia une tribune pour justifier l’initiative. Pour lui, le
peuple camerounais semblait accepter, dans une attitude proche d’un viol avec
consentement, que soit mutilée son histoire et que soit effacée la mémoire de
ses héros et martyrs morts pour notre liberté, par ceux-là même qui y étaient
opposés, mais entre les mains desquelles, une pseudo ‘’ indépendance’’ sera
remise le 1er janvier 1960. Ceux-là pourtant d’après lui, « non seulement ont continué l’ extermination
des Nationalistes, avec Moumie empoisonné en 1962 à Genève, Ossende Afana
mitraillé avant d’ être décapité en 1969 à Moloundou, Ernest Ouandie exécuté
sur la place publique en 1971 à Bafoussam, mais aussi perpétuent l’ oppression
des Camerounais telle que vécue aujourd’hui, par les brutalités des hommes en
tenues, les entraves administratives et diktats des sous-préfets, les
règlements de compte judiciaires, pour leur empêcher l’ exercice de leurs
droits politiques et humains. »

Il explique alors que cette date qui correspond à la date anniversaire de l’assassinat de Ruben Um Nyobe veut rappeler au souvenir de tous les Camerounais que des compatriotes qui s’opposaient à l’asservissement de nos populations depuis la colonisation allemande et française jusqu’ au présent régime, ont sacrifié leur vie, alors qu’ils étaient jeunes ou pour certains, dans la force de l’âge. Et inutile d’attendre de ceux-là qui, installés dans la logique d’ une continuité colonialiste- néocolonialiste qui prive le peuple camerounais de ses droits humains, civiques, politiques , et économiques de base, qu’ils prennent l’initiative de célébrer la mémoire de ceux qu’ils ont massacrés, torturés, présentés comme des criminels alors que leur seul crime était d’ avoir rêvé d’ un Cameroun profitant aux Camerounais. La proclamation du ‘’13 Septembre, Journée des Héros Nationaux et des Martyrs’’ et sa célébration étaient dès lors un acte d’émancipation qui signaient une volonté d’appropriation de notre Histoire et autant de pierres à l’édification du ‘’Panthéon Mémoriel’’ que les initiateurs rêvaient de voir un jour être érigé en temple dédié à la mémoire de ceux-là qui, par leur combat et le sacrifice de leur vie, ont fondé la Nation Camerounaise. Et quels sont ces héros ?
Sacrifiés à l’autel
Célestin Bedzigui explique que quiconque se donne la peine de
visiter mentalement les catacombes du martyrologue camerounais le passé découvrira
un grand nombre de tombes abandonnées, oubliées, alors même qu’elles attestent
de ce que peu de peuples au monde ont payé un prix aussi élevé en vies pour
leur liberté et une réelle indépendance de leur pays. Il cite des exemples qui
devrait être ou seront un jour enseignés dans les écoles du Cameroun dont :
Le Chef Bakweri KUVA LIKENYE, après avoir défait les Allemands en 1891 au cours
de la bataille de NAMONGUE (Buea) au cours de laquelle le Commandant Karl
Freiher Gravenreuth est tué, il meurt au village de Wonya Mokumba en 1894. OMGBA
BISSOGO, Chef des Mvog Ottou, décapité par les Allemands à Yaoundé en 1895 au lieu-dit
Etoa Meki, le Lamido d’Agorma, le Djaouro de Bamé, le Djaouro de Oubao, le
Yérima de Lagdo, le Lamido de Béngui, l‘Ardo de Déngui, pendus le 30 Juillet
1907 par les Allemands à Garoua, King Rudolph DOUALA MANGA BELL, pendu à Douala
le 08 Août 1914 par les Allemands en compagnie de son Secrétaire Ngosso Din, Martin
Paul SAMBA, fusillé sur la place publique à Ebolowa par les Allemands le 8 Août
1914, le Chef Batanga MADOLA, pendu à Kribi par les Allemands le 8 Aout 1914, Karnou,
qui a dirigé la révolte lors de la guerre du Kongo-Wara contre les Français
entre 1928 et 1932 dans la région de Meiganga, Garoua-Boulaï, Ruben UM NYOBE,
Dr. Félix Moumié, Dr. Castor Ossende Afana, Ernest Ouandie, dirigeants
Upecistes assassinés;
AUGUSTIN NGOM JUA, ancien Premier Ministre du Southern Cameroons, mort
mystérieusement’’ en 1977, Dr. Marcel BEBEY EYIDI, nationaliste de la première
heure, mort ‘’mystérieusement’’ en 1966, Monseigneur Albert NDOGMO, condamné à
mort, exilé, mort en 1995 au Canada, le Chef MBILONGO à Nomo de Nlongbon par
Monatélé, déporté à Mentum pour avoir refusé le bourrage des urnes aux
élections de 1962. Au moment de son arrestation, il chargera le Sous- Préfet
Bengono de dire à Ahidjo qu’il reviendrait mourir dans son village, mais que
lui, Ahidjo ne mourra pas au Cameroun. Il sera ramené dans son village pour
mourir en 1972 et… l’Histoire dira la suite, Albert WOMAH MUKONG, intrépide
activiste des Droits de l’Homme, mort à Bamenda le 13 Juillet 2004, Jacques
TIWA, nationaliste assassiné le 27 février 2008 à Douala, par la soldatesque du
régime du Renouveau. Sans oublier ni les centaines de Mvog Ottou d’ Omgba
Bissogo de Mvog Betsi-Yaoundé massacrés par les Allemands en 1895, ni les 300,
000 victimes des massacres des militants Upecistes perpétrés entre 1955 et 1965
dans le Wouri, la Sanaga Maritime et la région Bamiléké, ni les déportations
massives des Eton et Mvele en 1962 accusés d’ être des ‘’ démocrates’’ dans les
camps de concentration de Mentum et Yoko d’ où un grand nombre ne sont pas
revenus, ni les citoyens assassinés dans les années 90 dans la lutte pour le
multipartisme et la démocratie, ni les 139 morts des émeutes contre la
modification de la Constitution en février-mars 2008.

L’impossible Panthéon
Pour tous ceux-là et bien d’autre, il faudrait donc bâtir ce ‘’Panthéon Mémoriel’’, selon les initiateurs de la « journée des héros nationaux et des martyrs ». Même comme ils ont conscience que c’est une œuvre ardue, tant les effets du lavage de cerveau dont les Camerounais ont été victimes depuis des décennies sont profonds. Dans sa tribune, Célestin Bedzigui explique : « Le lavage de cerveau des Camerounais s’est opéré par la combinaison d’une répression politique et militaire sanglante et d’une guerre psychologique féroce dont les méthodes ont été théorisée par le Colonel Lacheroy … C’est ainsi qu’en plus de leur extermination physique systématique, la propagande coloniale a accolé aux combattants nationalistes le label infamant de ‘’ terroristes et maquisards’’ compris comme ‘’criminels’’, une perception ancrée dans l’esprit du petit peuple depuis lors. C’est cette distorsion cognitive qui servira à justifier les atrocités commises par les méthodes de la terreur dite contre-insurrectionnelle, traumatisant de larges fractions du peuple camerounais refugié depuis lors dans une passivité surprenante, en comparaison aux sursauts des peuples d’ autres pays d’ Afrique qu’ on a vu se lever massivement et se débarrasser de leurs dictateurs.» Un panthéon mémoriel pour les héros, cela reste un rêve, mais en attendant, les Camerounais doivent savoir que leurs ancêtres et parents ont été sacrifiés pour ce pays, et que ces vies méritent un minimum de respect, dans leurs faits et gestes quotidien
Roland TSAPI