Criminalité à col blanc : le Cameroun de l’ombre

Sans le savoir, les populations sont sous l’emprise d’une main noire qui les a pris en otage. A côté du Cameroun officiel, s’est construit un Cameroun invisible, omniprésent et qui en réalité contrôle et détermine le quotidien de chacun.
Le 1er octobre 1996, un groupe de 7 magistrats européens signait ce qui a été nommé « Appel de Genève », centré sur la corruption sous ses multiples formes «qui prospère sans vergogne» en relation avec les enrichissements politiques et les actions du crime organisé. L’Appel dénonce surtout les obstacles mis aux enquêtes et aux efforts de coopération, en particulier pour les investigations concernant les financements occultes des partis politiques, et les attribue à «des protectionnismes dépassés en matière policière et judiciaire. Un extrait lit : « Conseil de l’Europe, traité de Rome, accords de Schengen, traité de Maastricht: à l’ombre de cette Europe en construction visible, officielle et respectable, se cache une autre Europe, plus discrète, moins avouable. C’est l’Europe des paradis fiscaux qui prospère sans vergogne grâce aux capitaux auxquels elle prête un refuge complaisant. C’est aussi l’Europe des places financières et des établissements bancaires, où le secret est trop souvent un alibi et un paravent. Cette Europe des comptes à numéro et des lessiveuses à billets est utilisée pour recycler l’argent de la drogue, du terrorisme, des sectes, de la corruption et des activités mafieuses. Les circuits occultes empruntés par les organisations délinquantes, voire dans de nombreux cas criminelles, se développent en même temps qu’explosent les échanges financiers internationaux et que les entreprises multiplient leurs activités, ou transfèrent leurs sièges au-delà des frontières nationales. Certaines personnalités et certains partis politiques ont eux-mêmes, à diverses occasions, profité de ces circuits. Par ailleurs, les autorités politiques, tous pays confondus, se révèlent aujourd’hui incapables de s’attaquer, clairement et efficacement, à cette Europe de l’ombre. »
Europe de l’ombre, Afrique de l’ombre, Cameroun de l’ombre. Ce qui était alors décrié par les magistrats européens est présent partout, sur tous les continents, dans tous les pays, et le Cameroun n’y échappe pas. On dirait même que la situation est plus accentuée au Cameroun, à la faveur d’une stagnation du régime sur une durée anormalement longue. Au-dessus du Cameroun visible qui se construit, ou plus exactement qui se déconstruit avec les grands projets structurants plutôt déstructurés, les corps professionnels qui se battent pour résister à l’inféodation, les secteurs éducatif, sanitaire, économique et politique qui se délitent dans la corruption, des villes qui ploient sous le poids du désordre urbain, des routes dégradées, aux bordures envahies par la broussaille et théâtre de divers extorsions, la misère ambiante, l’incertitude du lendemain, au-dessus de ce Cameroun disais-je, s’est construit un Cameroun de l’ombre.
Transposée dans la société humaine, la pieuvre est partout et nulle part, on la sent mais on ne la voit pas. Dans la série télévisée « Prison break » on l’appelle le président, dans les films italiens on l’appelle le parrain, le Capo, le Maître, Scarface, Godfather et autres. Grâce à ses tentacules dans le judiciaire, l’économique, le politique et le sécuritaire,

Elite délinquante
Ce Cameroun-là, est celui de l’élite délinquante, composée des personnalités politique et économique à priori au-dessus de tout soupçon, qui contrôle dans le noir la finance et la politique. Elle évolue en marge de la norme du circuit classique. Elle transporte d’importantes sommes d’argent en liquide dans les valises et les malles arrière des voitures, des sommes qui se décaissent des banques même à des heures tardives sur un simple coup de fil. Les coffres forts de leurs maisons, les pièces souterraines de leurs villas sont bourrées des billets de banque toutes devises confondues, et l’opinion en prend souvent connaissance quand elle déclare le vol. Cette élite délinquante décide des lois et les fait applaudir à l’Assemblée nationale, elle arrête les vraies décisions de justice et les fait lire par le juge dans des dossiers dit signalés, elle décide du prix d’achat de la matière première et l’achète elle-même. Elle gagne de l’argent sale et le blanchit en l’injectant dans l’économie formelle, se forgeant au passage une réputation de généreux. Elle décide de ce que le citoyen doit savoir, et ce qu’elle dit est vrai pas parce que c’est conforme à la réalité, mais parce qu’elle l’a dit. Pour protéger ses intérêts elle décide de qui doit vivre et qui doit mourir, quand et comment.
Elle impose le silence, la loi de l’omerta, et n’hésite pas à faire le ménage quand quelqu’un se montre trop bavard, avec une main noire impitoyable, qui ne tarde pas à se faire sentir face à la rage sourde d’un enfant du pays qui voit, subit, se révolte et dénonce l’indénonçable au pays de l’omertà
Cette élite délinquante qui fait le pays de l’ombre est contrôlée par la pieuvre, du nom de cette espèce aquatique dotée de 8 bras, 9 cerveaux et surtout beaucoup de charme. Un peu comme le diable sous l’apparence d’un ange. La science explique que ces neuf cerveaux viennent du fait que chaque tentacule possède une sorte de cerveau propre. C’est grâce à cela que les tentacules sont indépendants les uns des autres. Le neuvième cerveau est celui qui centralise la vie des huit autres pour la coordination des différentes parties entre elles. Transposée dans la société humaine, la pieuvre est partout et nulle part, on la sent mais on ne la voit pas. Dans la série télévisée « Prison break » on l’appelle le président, dans les films italiens on l’appelle le parrain, le Capo, le Maître, Scarface, Godfather et autres. Grâce à ses tentacules dans le judiciaire, l’économique, le politique et le sécuritaire, elle peut mobiliser en un temps record les fonds nécessaires à une opération par sa puissance financière et son contrôle sur les institutions financières, orienter une enquête policière grâce à sa main mise sur le corps, bloquer une décision de justice, enterrer une affaire ou la ressusciter pour les besoins de la cause. La pieuvre est en mesure de mettre en corrélation ou en coordination les différents tentacules qu’elle contrôle pour atteindre un objectif, en général le contrôle sur les détenteurs de tous les pouvoirs et du pouvoir suprême. En général la pieuvre ne cherche pas à gérer un pays, mais à contrôler les gestionnaires d’un pays. Elle impose le silence, la loi de l’omerta, et n’hésite pas à faire le ménage quand quelqu’un se montre trop bavard, avec une main noire impitoyable, qui ne tarde pas à se faire sentir face à la rage sourde d’un enfant du pays qui voit, subit, se révolte et dénonce l’indénonçable au pays de l’omertà. Martinez Zogo est passé par là, et nul ne s’étonne que les survivants demandent à vivre désormais sous escorte policière. Les acteurs du Cameroun de l’ombre tiennent le pays en otage, et il en sera ainsi jusqu’à ce que le pouvoir central s’émancipe, et permette au pays de connaître son Eva Joly.
Roland TSAPI
Le Cameroun de l’ombre ?
Sauf si on parle du côté obscur.
Ils ne se cachent même plus.