Assassinat de Martinez Zogo : l’attente du suspect

Après l’élimination physique dans des circonstances atroces du journaliste Martinez Zogo, l’opinion attend que le gouvernement, qui s’en est lavé les mains, lui livre le ou les auteurs

Le gouvernement camerounais a depuis le 22 janvier 2023, un crime à élucider sous la main, l’assassinat du journaliste Arsène Salomon Bani Zogo, autrement appelé Martinez Zogo. Comme cela se passe à minima dans les pays où le public est respecté, un compte rendu de l’évolution de l’enquête devrait être fait au jour le jour par le procureur de la République près la Cour  d’appel du Centre, de même que certaines actions visibles devraient déjà avoir été menées sous les projecteurs des caméras, comme la descente sur les lieux. Depuis le xixe siècle, indiquent des études sur les techniques d’enquêtes*, les crimes contre les personnes, les événements dramatiques, mobilisent une fois leur découverte, hommes de loi, médecins et une foule de curieux. Dès leur annonce, les magistrats, conformément aux exigences de la justice, doivent se transporter sur les lieux et partir en quête d’indices capables d’indiquer l’identité du criminel et de ses complices éventuels. Généralement l’enquête judiciaire fait suite au flagrant délit. Cette notion avait une acceptation beaucoup plus large qu’aujourd’hui. Étaient réputés ainsi de flagrant délit précisent Marina Daniel dans Découverte du crime et besoin d’enquête, les crimes poursuivis par la clameur publique, et ceux où le prévenu était trouvé en possession d’effets ayant appartenu à la victime, d’armes ou autres instruments laissant supposer de sa culpabilité ou de sa complicité. Sur place la situation est rarement idéale, les lieux sont rapidement investis, sans grande précaution, sans réelle mesure de préservation, « d’autant plus que le système judiciaire n’est pas obligatoirement prévenu dans de brefs délais. » Conséquence, la réussite de l’enquête intervient dès les premiers déplacements des magistrats diligentés par la justice qui procèdent à l’analyse immédiate de la scène du crime, le criminel laissant toujours des traces de son passage. Cette phase préliminaire et essentielle permet de constater « la matérialité des faits »,  de dresser l’inventaire des traces et objets qui aident à rendre compréhensible et familier le déroulement et l’enchaînement des faits criminels. Des croquis fixent alors la scène du crime telle qu’elle a été découverte : victime baignant dans une mare de sang, indices et marques sanglantes, objets épars, instruments ayant servi à commettre le crime…

Laurent Esso, ministre de la Justice

Le public ne sait même pas quel procureur est chargé de ce dossier, pour information. Le public ne sait pas non plus ce que l’autopsie effectuée sur le corps a révélé, notamment sur la date de sa mort. Il s’abreuve encore dans les réseaux sociaux, où se livre une guerre de communication ponctuée d’accusations et contre accusations, guerre que seule une communication officielle peut trancher.

Instantanéité

La communication publique s’est limitée 4 jours après la découverte du corps du journaliste, et au total 9 jours après son enlèvement, à deux communiqués du ministre de la Communication qui au mieux parle d’une enquête en cours. Là où le public s’attend à des conférences de presse quotidiennes au cours desquelles le Procureur informe des progrès réalisés, ou des difficultés rencontrées. A-t-on par exemple relevé sur le lieu de la découverte du corps des traces des roues de voitures, ou des traces des pas, combien d’hommes peuvent avoir laissé des traces sur le sol ?…Ailleurs, toute la machine judiciaire est mise en branle, et le public mis à contribution avec des appels à témoins parfois contre rémunération, et assortis de la protection des témoins au cas où quelqu’un aurait peur pour sa vie. Tous ceux pouvant aider à la manifestation de la vérité, qui ont vu, ou entendu quelque chose, sont sollicités, toutes les pistes exploitées. Selon Kim Rossmo de School of Criminal Justice and Criminology  de l’Université d’Etat du Texas au Etats Unis,  « des travaux ont montré que la plupart des crimes sont souvent résolus grâce à des informations qui proviennent du public, les enquêteurs interrogent les témoins, délateurs, amis et famille des victimes, et résidents des lieux du crime, leur demandant des indices afin d’identifier des suspects potentiels. » Mais dans le cas d’espèce le silence semble être la règle et la discrétion le mode opératoire. Le public ne sait même pas quel procureur est chargé de ce dossier, pour information. Le public ne sait pas non plus ce que l’autopsie effectuée sur le corps a révélé, notamment sur la date de sa mort. Il s’abreuve encore dans les réseaux sociaux, où se livre une guerre de communication ponctuée d’accusations et contre accusations, guerre que seule une communication officielle peut trancher. La première phase de l’enquête, celle du constat du crime et de la collecte des éléments qui le confirme étant en principe terminée, une communication publique fixerait l’opinion, dans un contexte de fort soupçon de manipulation de la justice.

Dans d’autres circonstances, au mépris de la présomption d’innocence, des personnes interpellées sont quotidiennement présentées à la presse par les unités de police et de gendarmerie, et qualifiées sans précaution de bandits de grand chemin. Dans la même logique, le gouvernement devrait déjà sinon présenter au public des suspects identifiés pour ce crime qu’il qualifie lui-même de crapuleux, du moins donner leurs noms. Et s’il n’y a pas encore de suspect, cela devient suspect.

Suspect

L’enquête, si elle suit son cours sans entrave, doit être à ce jour à la et 3 eme phase, celle portant sur le suspect ou le coupable. D’après Kim Rossmo, « il arrive que les détectives aient une idée claire de l’identité du coupable sans avoir en main les preuves nécessaires à son arrestation. Dans d’autres cas, ils sont capables d’établir légalement la culpabilité sans pour autant connaître l’identité du coupable. Ce dernier scénario se produit lorsqu’il existe des preuves médico-légales impliquant avec certitude un individu dont l’identité demeure inconnue, et que l’on doit donc trouver afin qu’une comparaison de l’ADN soit possible. Identifier les suspects potentiels, les hiérarchiser et les évaluer deviennent alors la priorité de l’enquête. » A ce niveau une communication officielle sur le niveau d’avancement de l’enquête est déterminante, ce d’autant plus que dans les réseaux sociaux il y a déjà des coupables désignés, qui sont aussi présentés comme des victimes faisant l’objet d’une cabale. Des camps sont identifiés, qui s’affrontent par personnes interposées. Autant d’informations qui, si elles ne sont pas clarifiées officiellement, contribuent à cristalliser l’opinion et finissent par la convaincre qu’il y a anguille sous roche. 10 jours après l’enlèvement de Martinez Zogo, et son assassinat par la suite, le gouvernement ne peut prétendre que son « enquête » lui a permis seulement de découvrir le corps. Le contexte, le cours des évènements, des informations circulant sur les réseaux sociaux devraient déjà avoir donné à la justice de quoi interpeller des suspects. Dans d’autres circonstances, au mépris de la présomption d’innocence, des personnes interpellées sont quotidiennement présentées à la presse par les unités de police et de gendarmerie, et qualifiées sans précaution de bandits de grand chemin. Dans la même logique, le gouvernement devrait déjà sinon présenter au public des suspects identifiés pour ce crime qu’il qualifie lui-même de crapuleux,  du moins donner leurs noms. Et s’il n’y a pas encore de suspect, cela devient suspect.

Roland TSAPI

* Découverte du crime et besoins de l’enquête, Le dessin judiciaire en seine-inférieure au xixe siècle

Marina Daniel Dans Sociétés & Représentations 2004/2 (n° 18), pages 109 à 122

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