Assassinat de Martinez Zogo : la confession sourde de l’église

Le silence de l’église face à l’horreur de la mort du journaliste Martinez Zogo est inhabituel. Aurait-elle déjà pris un coup après de multiples décès suspects en son sein, serait-elle réduite au silence par la peur ou est-ce le signe de la résignation ?
Depuis l’enlèvement et l’assassinat du journaliste Martinez Zogo, dont le corps a été découvert abandonné sur un terrain vague le 22 janvier 2023 au petit matin, l’église catholique du Cameroun ne s’est pas officiellement prononcée, 14 jours après les faits. La conférence épiscopale, qui a souvent pris fait et cause pour le public face à certaines attitudes, tarde à condamner la barbarie avec laquelle le journaliste a été tué, après sévices corporelles. Tout au plus, des actions isolées de certains hommes d’église ont été enregistrées, comme l’inquiétude exprimée sur la sécurité des Camerounais par l’archevêque de Douala Monseigneur Samuel Kleda que la télévision Equinoxe est allée trouver, ou la visite à la famille du journaliste par l’archevêque de Yaoundé Monseigneur Jean Mbarga le 27 janvier. D’autres prélats ont sans doute condamné l’acte dans leurs différentes homélies, sans que l’on ne sente l’Eglise réunie et unanime derrière la cause. Pas qu’une sortie de la Conférence épiscopale devrait fondamentalement changer la donne dans la recherche des auteurs, mais elle donnerait l’impression aux fidèles de l’église, qu’ils peuvent au moins avoir leur soutien moral. Aurait-on affaire à une attitude discriminatoire de l’Eglise ? Il y a 6 ans, elle avait convoqué le 13 juin 2017 une assemblée extraordinaire de la Conférence pour plancher sur le cas de Monseigneur Benoît Bala, dont le corps sans vie avait été découvert dans l’eau 12 jours plus tôt après 3 jours de recherches, alors que sa voiture stationnée sur le pont avec le message « je suis dans l’eau » avait attiré l’attention. On dirait plutôt que l’Eglise donne des signes de fatigue, de découragement et de lassitude face aux résultats obtenus jusqu’ici dans de pareils cas. Déjà, malgré cette sortie en 2017 pour condamner l’assassinant masqué en suicide du prélat et exiger que justice soit faite, le procureur général de la Cour d’appel du Centre affirmait le 4 juillet que « la noyade est la cause la plus probable du décès de l’évêque ». Toute protestation fut vaine, l’enquête avait probablement subi le même sort que celui affirmé de la victime, c’est-à-dire noyée.
Au vu de ce lourd passé pas toujours évident à porter pour l’église, le silence face à l’assassinat de Martinez Zogo s’apparente désormais à une confession sourde, une méditation dans le silence devant une situation qui semble échapper à tout contrôle. Mais si l’église est la première à baisser les bras, qui pour entretenir l’espérance ? L’église aurait-elle laissé ses ouailles à la merci du diable, le berger aurait-il abandonné ses brebis entre les mains des loups ?

L’habitude des faits
Rétrospectivement, l’Église catholique a en effet vu ses hommes mourir dans des conditions étranges et suspectes, et les auteurs restés impunis, qu’il lui faut puiser au plus profond de la foi pour espérer. Au lendemain de la découverte du corps de monseigneur Benoit Bala, le journal Intégration du 5 juin 2017 est revenu sur les cas d’hommes d’église assassinés au Cameroun, depuis 1982. Pour en compter 16, en oubliant d’autres sans doute. Mbalmayo, Mgr Jean Kounou et l’abbé Materne Bikoa sont assassinés en 1982 par Emerand Ebanda, cuisinier de l’évêque du diocèse en compagnie de plusieurs autres personnes. Dans la nuit du 24 au 25 octobre 1988, le prêtre et journaliste camerounais Joseph Mbassi est assassiné alors qu’il menait une enquête sur le trafic d’armes au Cameroun. Son corps est retrouvé au matin du 26 octobre dans sa chambre, mutilé et couvert de sang. Aucun objet n’avait été emporté, et l’argent n’a pas été volé. L’Abbé Bernabé Zambo, est passé à l’Archidiocèse de Bertoua, où il était Curé de Mbang. Il est mort le 24 mars 1989 probablement empoisonné par quelqu’un qui voulait se venger, selon le journal. Père Anthony Fontegh à Kumbo dans la région du Nord –Ouest, est tué en 1990 à Bamenda. Le 3 septembre 1991, Mgr Yves Plumey, est tué par étranglement, à sa résidence du quartier Haut plateaux à Ngaoundéré au lieu-dit Petit Séminaire. Ses bourreaux se seraient servis de son drap pour accomplir leur sale besogne. En 1992, le Révérend Père Amougou, du diocèse de Sangmélima est assassiné dans son presbytère. Le 02 août de la même année à Djoum, les Sœurs Germaine Marie Husband et Marie Léonne Bordy, responsables du dispensaire de la mission catholique de Djoum, sont abattues dans leur résidence. Le jardinier de la paroisse a été tenu pour coupable, et condamné à la peine capitale. Le 23 avril 1995, le Père Engelbert Mveng est trouvé mort, étranglé, avec une profonde blessure à la tête. Rien n’avait été emporté de sa chambre. Entre le 20 et le 21 avril 2001, à Nkolndongo à Yaoundé, Apollinaire Claude Ndi, curé de Nkoltob par Awaé dans le département de la Mefou-et Afamba, est assassiné dans la nuit par un inconnu. Entre le 29 et le 30 juin 2002, le Frère Yves Marie-Dominique Lescanne, fondateur du Foyer de l’Espérance de Yaoundé, est assassiné dans la nuit à Maroua (Extrême-Nord) par un des jeunes qu’il avait aidé à sortir de la rue. Frère Anton Probst, 68 ans, un Allemand de la Congrégation des Missionnaires Clarétains, est tué dans la nuit du 24 décembre 2004 par des malfaiteurs qui étaient entrés dans le Noviciat d’Akono. Après la Messe de Noël, il retourne dans sa chambre quand il surprend des voleurs qui le frappent et le laissent inanimé. Dans la nuit du 24 décembre 2008, l’abbé François Xavier Mekong, vicaire de la dite paroisse, est retrouvé mort, étendu au sol dans l’une des douches du presbytère. Joseph Yamb, qui fut curé à Mandoumba (autrefois diocèse de Douala, actuellement d’Eseka), est étranglé avec du fil barbelé par des hommes présentés comme des voleurs qui venaient chercher l’argent récolté à l’occasion d’une fête. Fin mai 2017, l’abbé Armel Djama, recteur du petit séminaire de Bafia est trouvé mort dans sa chambre, quelques jours avant monseigneur Benoît Bala. Les chroniques de ces assassinats font également cas du prêtre Lucien Anya Noa dont le corps est retrouvé le 10 novembre 2007 derrière la porte d’une chambre du domicile de feu Belinga Eboutou, alors représentant diplomatique du Cameroun auprès des nations unis à New-York. Le Père Anya Noa avait bouclé une enquête sur un réseau d’homosexualité au séminaire Saint Paul du diocèse de Mbalmayo et s’apprêtait à donner le rapport au Vatican.
Au vu de ce lourd passé pas toujours évident à porter pour l’église, le silence face à l’assassinat de Martinez Zogo s’apparente désormais à une confession sourde, une méditation dans le silence devant une situation qui semble échapper à tout contrôle. Mais si l’église est la première à baisser les bras, qui pour entretenir l’espérance ? L’église aurait-elle laissé ses ouailles à la merci du diable, le berger aurait-il abandonné ses brebis entre les mains des loups ?
Roland TSAPI