Affaire Martinez Zogo : le bal des vautours

Alors que les auteurs du crime crapuleux courent toujours, alors que l’opinion est encore en émoi face à la cruauté de l’acte d’assassinat, les agissements se font déjà autour du cadavre pour des récupérations politiques.
Le bal des vautours. C’est une expression française qui décrit une situation où les hommes, tel cet oiseau rapace, rodent autour d’un cadavre pour le dévorer au figuré, où simplement pour en tirer profit. Naturellement, le vautour, guidé par la faim et inconscient, dépèce le cadavre qu’il rencontre sur son chemin, sans se demander quel est l’animal ainsi mort, ni de quoi il est mort. Tout ce qui compte pour lui c’est d’assouvir sa faim. Le rapprochement se fait avec les hommes, quand sans compassion aucune, ils font d’un cadavre un objet de convoitise, de marchandage et de chantage. Au quotidien, la société camerounaise est témoin des disputes autour d’un cadavre dans une famille, où l’on se déchire au couteau comme devant la justice pour un corps inanimé, qui parfois n’a bénéficié de l’attention d’aucune des parties de son vivant au moment où il avait le plus besoin d’aide. Passe encore que cela se vive dans une famille, en privé, mais le ridicule est arrivé au point où on porte les batailles dans la rue, en toute disgrâce. C’est un véritable bal des vautours qui s’offrent autour de la dépouille de Martinez Zogo, alors que les images de son corps mutilé n’ont pas encore cessé de hanter toute âme sensible.
Les faits

Résumé des faits : dans la mouvance de l’émotion créée par la découverte du corps sans vie de Martinez Zogo le 22 janvier, torturé, mutilé et abandonné dans un terrain vague, un groupe des chefs traditionnels du département de la Lekié, d’où est originaire le journaliste martyr, signe le 25 janvier un message adressé au président de la république dont des extraits lisent : « le mode opératoire des maquisards qui l’ont tué et de leurs commanditaires indique qu’il s’agit d’un crime impliquant les services de sécurité de l’Etat…Notre fils Martinez Zogo était un soutien fervent de votre régime. Vu l’humiliation que nous avons subi, décidons…Martinez Zogo est mort pour vous, ses assassins l’ont fait pourrir et ne nous ont laissé que des asticots. Par conséquent, nous refusons de recevoir ces asticots dans la Lekié et proposons que la dépouille de Martinez Zogo soit acheminée à Mvomeka et qu’il soit enterré dans le caveau familial du président, vous notre père » Le message a été également lu sur le lieu de la découverte où se procédait une sorte de rite. 24 heures après, une contre lettre est publiée par celui qui se présente comme le président de l’Association des chefs traditionnels de la Lekié, majesté professeur Guy Tsala Ndzomo. Il tranche : « aucune faction des chefs traditionnels de la Lekié n’a été mandatée pour communiquer à l’attention de l’opinion publique un quelconque message à monsieur le président de la république son excellence Paul Biya au sujet de ce crime crapuleux perpétré sur la personne du journaliste Martinez Zogo. » Dans le même temps, sa majesté Assogo Nana Joseph Onesifort, président de l’association des chefs traditionnels de la Mefou et Afamba, département voisin de la Lekie et territoire sur lequel le corps du journaliste a été abandonné, rendait public dans les réseaux sociaux un communiqué pour se désolidariser de la démarche de ses collègues voisins. « Au demeurant, dit-il, si l’émotion est compréhensible, le ton employé et les diverses allusions à l’endroit de nos forces de défense et bien pire au chef de l’Etat nous semblent démesurés et hors de propos. »
Revirement
Le 27 janvier, deux jours plus tard les même chefs traditionnels de la Lekié reviennent à la charge, cette fois avec la voix douce de l’agneau, et rendent public un autre communiqué issue d’une réunion tenue à Yaoundé chez une élite du département, en l’occurrence le ministre chargé de mission à la présidence de la république Benoit Ndong Soumhet. Extrait : « …la violence des faits a suscité en nous une si forte émotion qu’elle nous a fait tenir des propos qui ont manifestement dépassé notre noble et authentique pensée…avec le temps, nous avons pris conscience de nos dérives, de nos excès, aussi entendons nous présenter à son excellence Paul Biya, président de la république, chef de l’Etat, nos plus profondes et sincères excuses pour les excès dont nous nous sommes rendus coupables à son endroit…Pour autant, nous continuons à demander que les coupables de cette odieuse ignominie soient traqués, pourchassés, arrêtés et sévèrement sanctionnés conformément à nos lois. »
Chacun veut tirer son épingle du jeu, chacun installe désormais son comptoir autour du corps de Martinez Zogo, on oublie vite l’horreur, la cruauté, la violence et le cynisme qui ont entouré la mort de Martinez, on porte des gants pour demander justice, là où les bourreaux se sont assurés que la cruauté étaient à l’extrême.
Vautours

Le contenu de ce communiqué, le lieu de la tenue de la réunion ainsi que les signataires, indiquent que la danse des vautours s’intensifie à ce niveau. Outre le ton doux de l’agneau suppliant le loup de ne pas le dévorer, on note que sa majesté professeur Guy Tsala Ndzomo, président de l’Association des chefs traditionnels de la Lekié qui a été le premier à se désolidariser de la démarche de ses collègues, n’est pas signataire de ce communiqué. Pourquoi, comment les chefs traditionnels de la Lekié peuvent tenir une réunion d’une si haute importance, dans la ville de Yaoundé, sans la présence de leur président ? Et le lieu de la réunion : comment les chefs traditionnels, gardiens de la tradition font pour se retrouver en réunion en ville, dans le domicile d’une élite ? N’y avait-il pas de chefferie au village où ils pouvaient se réunir avec la bénédiction des ancêtres, loin des mondanités et de la luxure corruptrice de la ville. Dans les coutumes bantu authentiques, pures et respectueuses des traditions, c’est le chef qui convoque ses sujets, quel que soit leurs rangs sociaux. Mais la tenue de cette réunion chez le ministre élite de la Lekié, laisse croire que c’est lui qui l’a convoqué et présidé. La précision faite du lieu de la tenue de cette réunion en tout début du communiqué n’est d’ailleurs pas anodine, le vrai auteur du contenu a tenu à ce que cela soit su. Chacun veut tirer son épingle du jeu, chacun installe désormais son comptoir autour du corps de Martinez Zogo, on oublie vite l’horreur, la cruauté, la violence et le cynisme qui ont entouré la mort de Martinez, on porte des gants pour demander justice, là où les bourreaux se sont assurés que la cruauté étaient à l’extrême.
Roland TSAPI