Accidents de la route : les mesures « effets d’annonce »

Face à la recrudescence des accidents de la route, l’administration semble à court de solutions et s’embourbe dans des mesures inapplicables

Le 2 octobre 2020, le ministre des Transports Jean Ernest Ngalle Bibehe signait un communiqué portant à l’attention de l’opinion publique et des usagers de la route qu’une campagne spéciale de sensibilisation, de prévention et de contrôle routière était lancée sur toute l’étendue du territoire national. Il s’agissait pour le ministre, avec ce qui était alors baptisé  « opération zéro accident », de réduire considérablement le nombre des accidents routiers au Cameroun. L’opération devait se dérouler en deux phases, visant deux périodes distinctes : la période du 5 octobre au 29 novembre 2020, correspondant à la rentrée scolaire était ciblée pour la première phase, tandis que la deuxième phase devait aller du 30 novembre 2020 au 31 janvier 2021, période des fêtes de fin d’année. Dans les 10 régions du pays, l’opération était placée sous la coordination des gouverneurs, et menée sur le terrain par des équipes constituées des responsables du ministère des Transports appuyés par les forces de maintien de l’ordre et de sécuritéLe ministre avertissait dans son communiqué que toute transgression sera sévèrement punie conformément aux sanctions prévues par la réglementation. A la date butoir de l’opération, « zéro accident » ressemblait à ne pas s’y méprendre, à l’histoire de « zéro mort » connue au Cameroun en 1990 lors de grèves estudiantines à Yaoundé. Le 27 décembre 2020, pour ne prendre qu’un exemple, sur l’axe Yaoundé-Bafia, au lieu-dit « pont de Nomale », un accident de circulation impliquant une agence de voyage avait laissé près de 40 personnes sur le carreau, et 18 autres grièvement blessées, selon un bilan officiel. Et d’après l’agence d’information en ligne aa.com, selon les chiffres de la sécurité routière, les accidents de la circulation ont provoqué la mort de 3275 personnes en 2020 au Cameroun.

Désormais selon le ministre, le trajet Douala Bafoussam et vice versa, long de 267 kilomètres selon les données de google map, devra être parcouru en 6h de temps soit à une vitesse de 44,5 kilomètres à l’heure. La distance Douala Yaoundé quant à elle, longue de 245 kilomètres selon les mêmes données, sera parcourue en 5 heures soit 49 kilomètres heure. Le trajet Yaoundé-Bafoussam long de 296 kilomètres devra être parcouru en 5 heures, soit 59 kilomètres à l’heure.

Mesures !

11 mois après le lancement de cette opération, les signaux étaient encore au rouge. En 24h au début du mois d’août, les 4 et 5 du mois exactement, les routes camerounaises ont enregistré 40 morts dans 3 accidents, avec un nombre de blessés tout aussi important. Ce qui a provoqué une rencontre de crise entre le même ministre et les acteurs concernés de la chaîne de transport routier au Cameroun. Une série de mesures -encore des mesures !-, a été prise à l’occasion, avec application immédiate. Désormais selon le ministre, le trajet Douala Bafoussam et vice versa, long de 267 kilomètres selon les données de google map, devra être parcouru en 6h de temps soit à une vitesse de 44,5 kilomètres à l’heure. La distance Douala Yaoundé quant à elle, longue de 245 kilomètres selon les mêmes données, sera parcourue en 5 heures soit 49 kilomètres heure. Le trajet Yaoundé-Bafoussam long de 296 kilomètres devra être parcouru en 5 heures, soit 59 kilomètres à l’heure. Une précision orale a été faite, que ces durées de voyage devront être augmentées de 2 heures quand il s’agit des voyages de nuit, réduisant du même coup la vitesse.  Pour s’assurer de l’effectivité de cette mesure, le patron des Transports entend désormais exploiter les données des radars placés à l’entrée et à la sortie des villes ainsi que les fiches de départ et d’arrivée remplies par les responsables des agences de voyage.

Quid de la réglementation ?  

Ngalle Bibehe, Mintrans: de nombreuses mesures

En la matière, le ministre des Transports vient simplement de réviser le code de la route, par une simple directive. Il faudra peut-être que les panneaux de limitation de vitesse installés sur les routes soient changés pour s’adapter aux nouvelles limitations du ministre, il faudra désormais que les bus de transport en commun et autres camions roulent sur les axes routiers interurbains moins vite, en deçà même de la vitesse autorisée en ville. Et plus, ces directives du ministre sont à géométrie variable, la vitesse autorisée finalement n’étant pas la même sur les différents tronçons de ce qui est appelé au Cameroun le triangle de la mort, à savoir la boucle Yaoundé-Bafoussam-Douala-Yaoundé. Directives tout aussi parcellaires et discriminatoires. Pour le ministre des transports, c’est comme si le transport routier au Cameroun se limitait sur ce triangle de la mort, auquel a été ajouté par pitié le trajet Yaoundé-Bertoua. Qu’en sera-t-il des tronçons Bertoua-Ngaoundéré, Ngaoundéré- Garoua et Garoua-Maroua ? Que dire de Yaoundé-Ebolowa-Kye Ossi, de Douala-Limbé, de Kumba-Mamfé, de Bafoussam-Bamenda ou de Bamenda-Kumbo ? Autant de questions qui laissent penser que les directives du ministre des Transports ont été prises sans tenir compte du Cameroun dans son entièreté, et jettent le doute sur la sincérité même de l’initiative. On constate aussi que ces mesures sont plus draconiennes que les précédentes, c’est-à-dire supposées être plus efficaces aussi, soit. Mais pourquoi ne pas les avoir prises avant, fallait-il qu’un nombre de morts déterminés soit atteint avant de sortir l’armada lourde ?

Pour le ministre des transports, c’est comme si le transport routier au Cameroun se limitait sur ce triangle de la mort, auquel a été ajouté par pitié le trajet Yaoundé-Bertoua. Qu’en sera-t-il des tronçons Bertoua-Ngaoundéré, Ngaoundéré- Garoua et Garoua-Maroua ? Que dire de Yaoundé-Ebolowa-Kye Ossi, de Douala-Limbé, de Kumba-Mamfé, de Bafoussam-Bamenda ou de Bamenda-Kumbo ?

En attendant que ces directives soient ajustées pour concerner toute l’infrastructure routière du Cameroun, la question centrale restera celle de son applicabilité. Quelle garantie qu’elles ne vont pas simplement être rangées dans les tiroirs ou foulées au pied une fois l’effet d’annonce passé ? Que sont devenues les mesures précédentes prises dans le cadre de la même lutte contre les accidents de la circulation ?  Le 7 février 2021, le même ministre des Transport avait rendu publics les résultats d’une étude commandée auprès du cabinet CYSCOM sur l’impact des mesures de sécurité routière mises en place au Cameroun. Il en ressortait que de 2011 à 2017, le Cameroun avait enregistré 21 049 accidents de la route, occasionnant la mort de 7 203 personnes. Depuis lors, la situation n’est pas améliorée, puisqu’en 2020 comme indiqué, 3275 personnes ont perdu la vie sur la route, et les indicateurs ne présagent rien de bon pour 2021. C’est dire que la solution au problème ne se trouve plus dans la multiplication des mesures et autres directives, il est plus que temps de prendre le taureau par les cornes, ou comme on dit dans la culture bantou, commencer à nettoyer le champ par le fond. Autrement, les multiples mesures à l’application hypothétique, resteront des coups d’épée dans l’eau.

Roland TSAPI

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