Dans les coutumes bantu authentiques, pures et respectueuses des traditions, c’est le chef qui convoque ses sujets, quel que soit leurs rangs sociaux. Mais la tenue de cette réunion chez le ministre élite de la Lekie, laisse croire que c’est lui qui l’a convoqué et présidé. La précision faite du lieu de la tenue de cette réunion en tout début du communiqué n’est d’ailleurs pas anodine, le vrai auteur du contenu a tenu à ce que cela soit su. Chacun veut tirer son épingle du jeu, chacun installe désormais son comptoir autour du corps de Martinez Zogo, on oublie vite l’horreur, la cruauté, la violence et le cynisme qui ont entouré la mort de Martinez, on porte des gants pour demander justice, là où les bourreaux se sont assurés que la cruauté étaient à l’extrême.
Fin mai 2017, l’abbé Armel Djama, recteur du petit séminaire de Bafia est trouvé mort dans sa chambre, quelques jours avant monseigneur Benoit Bala. Les chroniques de ces assassinats font également cas du prêtre Lucien Anya Noa dont le corps est retrouvé le 10 novembre 2007 derrière la porte d’une chambre du domicile de feu Belinga Eboutou, alors représentant diplomatique du Cameroun auprès des nations unis à New-York. Le Père Anya Noa avait bouclé une enquête sur un réseau d’homosexualité au séminaire Saint Paul du diocèse de Mbalmayo et s’apprêtait à donner le rapport au Vatican.
Au vu de ce lourd passé pas toujours évident à porter pour l’église, le silence face à l’assassinat de Martinez Zogo s’apparente désormais à une confession sourde, une méditation dans le silence devant une situation qui semble échapper à tout contrôle. Mais si l’église est la première à baisser les bras, qui pour entretenir l’espérance ? L’église aurait-elle laissé ses ouailles à la merci du diable, le berger aurait-il abandonné ses brebis ente les mains des loups ?
La pieuvre est en mesure de mettre en corrélation ou en coordination les différents tentacules qu’elle contrôle pour atteindre un objectif, en général le contrôle sur les détenteurs de tous les pouvoirs et du pouvoir suprême. En général la pieuvre ne cherche pas à gérer un pays, mais à contrôler les gestionnaires d’un pays. Elle impose le silence, la loi de l’omerta, et n’hésite pas à faire le ménage quand quelqu’un se montre trop bavard, avec une main noire impitoyable, qui ne tarde pas à se faire sentir face à la rage sourde d’un enfant du pays qui voit, subit, se révolte et dénonce l’indénonçable au pays de l’omertà. Martinez Zogo est passé par là, et nul ne s’étonne que les survivants demandent à vivre désormais sous escorte policière. Les acteurs du Cameroun de l’ombre tiennent le pays en otage, et il en sera ainsi jusqu’à ce que le pouvoir central s’émancipe, et permette au pays de connaître son Eva Joly.
Martinez Zogo faisait partie de cette race d’humains qui montrent la lune, mais on regarde les défauts de leurs doigts. Ce qui a été le cas par le passé de nombreux martyrs parmi lesquels Castor Osendé Afana, l’un des dirigeants nationalistes de l’Union des populations Cameroun, dont l’assassinat avait aussi été décidé alors qu’il réclamait comme ses camarades la libération des Camerounais par des lobbies coloniaux. Son corps avait été retrouvé dans une forêt de la Boumba et Ngoko et enterré à l’aide d’un couteau par son aide. Là au moins ses bourreaux étaient des militaires identifiables, qui agissaient à visage découvert et assumaient plus ou moins. La fatwa pour la mise à mort a été décrétée contre Martinez Zogo, alors qu’il revendiquait la clarté dans la gestion de l’argent du peuple. Son corps aussi a été retrouvé en état de putréfaction, liquidé par une main obscure qui manque même le courage d’assumer. A 51 ans il s’en est ainsi allé, le monde entier est unanime qu’il ne méritait pas pareil sort. L’opinion réclame que justice soit faite et que son sang ne soit pas versé pour rien, son épouse réclame que la nation le reconnaisse comme martyr de la république. Sera-t-elle seulement entendue !
10 jours après l’enlèvement de Martinez Zogo, et son assassinat par la suite, le gouvernement ne peut prétendre que son « enquête » lui a permis seulement de découvrir le corps. Le contexte, le cours des évènements, des informations circulant sur les réseaux sociaux devraient déjà avoir donné à la justice de quoi interpeller des suspects. Dans d’autres circonstances, au mépris de la présomption d’innocence, des personnes interpellées sont quotidiennement présentées à la presse par les unités de police et de gendarmerie, et qualifiées sans précaution de bandits de grand chemin. Dans la même logique, le gouvernement devrait déjà sinon présenter au public des suspects identifiés pour ce crime qu’il qualifie lui-même de crapuleux, du moins donner leurs noms. Et s’il n’y a pas encore de suspect, cela devient suspect.
Au regard de tous ces cas d’enquêtes ouvertes et non fermées, celle de l’assassinat de Martinez Zogo apparait comme celle de tous les défis, de tous les démentis, celle qui devra permettre au gouvernement de redorer son blason et tenter de restaurer la confiance au sein de l’opinion. La partition à jouer est énorme pour le gouvernement, les attentes sont nombreuses pour les populations. Pendant longtemps, l’ouverture d’une enquête au Cameroun a été synonyme de l’ouverture d’un cercueil pour enterrer l’affaire. Au point que le journaliste Jean Baptiste Sipa, dans la rubrique « Takala et Muyenga » qu’il animait au journal Le Messager à l’époque, faisait parler ses deux personnages. L’un d’eux après avoir énuméré de nombreux cas d’affaires dont on attendait les résultats de l’enquête au Cameroun, se proposait d’ouvrir une enquête sur ces enquêtes non abouties. Et son ami de lui répondre « si tu le fais, on te tue et on ouvre une enquête.» L’enquête sur l’affaire Martinez est une occasion pour le gouvernement soit de conforter l’opinion sur cette mauvaise foi décriée, soit de refaire son image, en servant au public non plus une enquête impossible, mais l’impossible enquête !
Martinez Zogo est-il victime d’une guerre des clans, son assassinat est-il un message qu’un clan envoie à l’adversaire en face, et si oui cet adversaire va-t-il rester les bras croisés, ou prépare-t-il froidement la vengeance ? Va-t-on assister à un bain de sang, le Cameroun va-t-il devenir le Far West ? Qui sera la prochaine victime ? Un autre journaliste, une femme, un enfant, une maison qui va prendre feu, une voiture qui va exploser au démarrage ? Le journaliste en particulier, et le citoyen en général fait un effort pour rester serein, mais le gouvernement à la lourde responsabilité d’arrêter le massacre, au plus vite, comme il l’a promis, en commençant par livrer à l’opinion le coupable. Le vrai coupable, pas celui qui a exécuté la mission, mais le commanditaire, « quel que soit son rang social », pour paraphraser le président Paul Biya, dans son discours prononcé il y a exactement 24 jours.
Ils l’ont fait, ils ont commis le crime, le citoyen est désormais en sursis
Qu’est ce qui dans un passé récent peut exposer le journaliste Martinez Zogo à un enlèvement ? D’après le journal en ligne camerounweb.com, il avait fait des détournements des deniers publics à travers des marchés publics fictifs son plat de résistance, et faisait sans cesse des dénonciations sur le braquage organisé des lignes 65 et 94 du budget de l’Etat. Il avait à cet effet compilé des documents de près de 300 pages indiquant dans les détails les montants siphonnés de ces lignes, les entreprises fictives inconnues du fisc qui étaient utilisées, les identités bancaires et les bénéficiaires. Ces documents avaient été remis à la présidente de la Cour d’Appel du Centre, à la présidence de la République, au ministère de la Justice, au Contrôle supérieur de l’Etat entre autres. Son malheur viendrait-il de là ? La famille n’a pas été contactée pour la demande d’une rançon, et le véhicule décrit comme ayant servi à l’enlèvement ne semble pas indiquer ce les auteurs ont faim. Si la rançon n’est pas le mobile de l’enlèvement, chercherait-on alors à le faire taire, si oui qui ? Ou pour s’interroger comme dans le milieu des enquêtes, à qui profite le crime ? Aucune piste n’est désormais exclue.
Les menaces et les chantages ne faisaient pas plier l’homme dans une rectitude qui dérangeait. Des fois il recevait des lettres de recommandations pour un marché, soit disant provenir de son ministre de tutelle. Il mettait les lettres de côté, tranchait en toute objectivité, et le lendemain se rendait à Yaoundé pour remettre les lettres au ministre, qui de surcroît étaient de fausses. Beaucoup de hautes personnalités de la région et des élus locaux se sont heurtés à la rectitude morale et l’intégrité de Jean Talla, unanimement reconnu dans tous les domaines de la vie comme une espèce en voie de disparition. L’instituteur a enseigné la vertu aux enfants à l’école, il l’a enseigné aux adultes en tant que président de la commission des marchés publics, surtout en prêchant par l’exemple. Il s’est éteint le 16 janvier 2023 au petit matin à son domicile de Bafoussam. Au cours de sa vie, il a été comme une étincelle dans l’obscurité, essayant à sa manière de montrer le chemin. Il s’en est allé laissant derrière lui toute sa vertu, comme une bouteille jetée à la mer, dans l’espoir qu’elle soit pêchée au plus vite.
Tandis que les agents des forces de l’ordre réquisitionnées pour surveiller le respect d’une mesure, comme la fermeture des débits de boissons ou l’interdiction de circuler pours les motos, embarquent systématiquement tout contrevenant, tandis qu’un voleur surpris dans un quartier ou au marché est interpellé immédiatement, s’il échappe à la justice populaire, l’élite délinquante continue de jouir de sa liberté d’aller et de venir, même avec toutes les preuves matérielles de sa délinquance réunies. Sa culpabilité est diluée dans les procédures, et finit par s’évanouir. La Commission nationale anticorruption, l’Agence nationale d’investigation financière, la Chambre des Comptes de la Cour suprême, toutes ces institutions peuvent boucler une enquête et ficeler un dossier inattaquable sur la corruption, le trafic d’influence, les détournements des deniers publics, les marchés fictifs, les prises d’intérêts, de l’argent liquide conservé dans des valises à domicile, des noms peuvent être cités, le dossier échoue finalement dans un tiroir.